Projet de loi N° 13423 : ouvre-t-il la voie à la légalisation de la corruption dans le secteur de la défense en Ukraine ?

Immédiatement après son dépôt à la Verkhovna Rada, le nouveau projet de loi N° 13423 a suscité une vive inquiétude dans la société et parmi les experts. Soutenu par la majorité des députés — notamment 123 sur 126 issus de la faction du « Serviteur du Peuple » —, le texte soulève de graves préoccupations en raison de son potentiel à accroître les risques de corruption dans l’industrie de la défense. Officiellement, le projet propose d’importantes modifications du Code pénal et du Code de procédure pénale, soi-disant pour soutenir les entreprises du complexe militaro-industriel, mais il semble en réalité ouvrir la voie à une amnistie pour les crimes commis lors de l’exécution de contrats militaires. Les analyses d’experts du Centre de lutte contre la corruption (CCC) soulignent que les normes proposées déchargent de toute responsabilité pénale les responsables et fournisseurs qui ont enfreint la loi lors de la livraison d’armes et de matériel militaire, à condition que leurs actions aient visé un « but bénéfique pour la société » ou aient renforcé la capacité de défense de l’Ukraine. En outre, le projet stipule que la responsabilité ne sera pas engagée si les infractions ont été commises avant que l’entreprise ne soit inscrite dans une liste secrète d’entreprises de défense sous le contrôle du ministère de la Défense. Une caractéristique essentielle est la création d’un « immunité » pour les entreprises du secteur de la défense. Les entités juridiques inscrites dans la liste du ministère de la Défense seront protégées contre toute poursuite pénale pendant toute la durée de leur inscription, quelle que soit la date des infractions. Cela signifie que même des crimes antérieurs pourraient ne pas être punis, s’ils sont liés d’une manière ou d’une autre à un contrat de défense. De plus, le projet confère au Procureur général le pouvoir exclusif d’enregistrer les infractions dans le Registre Unifié des Enquêtes Préliminaires (RUIP), et toutes les décisions concernant les détentions, perquisitions ou arrestations doivent être approuvées par lui. Une autre préoccupation majeure concerne la concentration excessive du pouvoir entre les mains du Procureur général, ce qui pourrait favoriser les abus d’autorité et la politisation des enquêtes relatives aux achats de défense. Le CCC met en garde contre ce contrôle centralisé qui pourrait faciliter l’émergence de schémas de corruption échappant à tout contrôle public. De plus, le projet prévoit une amnistie « rétroactive » pour les fournisseurs ayant violé la loi avant leur inscription sur la liste officielle, à condition que leur conduite ait eu lieu durant l’état de guerre. Cela favorise un environnement propice à la corruption, en réduisant au minimum les risques de poursuite même en cas d’abus flagrants. Les critiques affirment que cette législation légitime en fait des activités illicites liées aux achats militaires, en permettant des stratagèmes où l’immunité est achetée, et en surévaluant les coûts sans contrôle adéquat. Le CCC insiste sur le fait que la concentration du pouvoir entre les mains du Procureur général pourrait devenir un outil d’influence politique pour protéger les réseaux de corruption. Les experts préviennent que ce projet met en danger la transparence des achats de défense ainsi que la sécurité nationale en autorisant des circuits de corruption en toute impunité et sous une gestion administrative sans restrictions. Les activistes de la société civile appellent le Parlement à ne pas approuver ce texte, en raison de son potentiel à favoriser la corruption et à miner la confiance dans les institutions publiques et le système de défense national.